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Épaisses ténèbres

On peut dire qu’Alexandrina était, maintenant, tout à fait maîtresse dans la science et dans l’art de la souffrance. Notre-Seigneur lui dit qu’il “l’a attrapée dans les filets de son amour”.

Vers la fin de l’année 1935, les désolation et les grandes luttes, débutèrent, dans un crescendo difficile à décrire. Les ténèbres et l’abandon de Notre-Seigneur sont presque continuels; les assauts du démon sont devenus très fréquents, sans toutefois atteindre les proportions d’obsession qu’elles prendront plus tard.

Les souffrances physiques étaient atroces. Alexandrina a l’impression que maintenant tout est mort pour elle, y compris la joie qu’elle éprouvait de souffrir... Elle souffre avec la même ou bien davantage de générosité, s’offrant sans retenue, mais son impression est que celles-ci ne servent à rien, ni pour réparer, ni pour consoler Jésus, ni même pour venir en aide aux pécheurs.

Le 7 novembre 1935, elle écrit:

« Il me semble que, jour après jour, tout s’assombrit de plus en plus. Même le Soleil divin qui me réchauffait, m’éclairait et donnait la force à ma pauvre âme, semble s’être obscurci. Patience! Je veux tout souffrir pour mon Bien-Aimé Jésus, pour lui sauver beaucoup d’âmes: c’est la mission que Notre-Seigneur m’a confiée, en ce monde, n’est-ce pas?

Combien elle est belle et consolante la prière du “Notre Père”! “Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel!” Que ma plus grande consolation soit celle de savoir que je fais la volonté de mon Bien-Aimé Jésus, qui a tant aimé cette misérable pécheresse...

Pour dicter ces quelques lignes, j’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises: il me fallait attendre de pouvoir parlé, car mes souffrances sont si grandes, qu’elles m’accablent et m’épuisent complètement. »

Dans sa lettre du 15 janvier 1936, on peut lire:

« Mon doux Jésus ne semble pas encore satisfait de ma crucifixion. Il écoute bien les demandes que je lui fais d’augmenter mes tourments. En plus des énormes douleurs qui me torturent, je me sens, maintenant, comme suspendue à une balançoire, poussée de droite à gauche et de bas en haut, ce qui me cause une très grande souffrance dans tout le corps. Les douleurs de mon bras gauche sont aussi plus aiguës. Béni soit Notre-Seigneur! Que sa très sainte volonté, qui est aussi la mienne, soit faite. Mais, que sont les maux corporels, comparés aux souffrances de l’âme! Ce n’est qu’avec l’aide divine que je peux y résister. Ce complet abandon, dans lequel mon Bien-Aimé Jésus a daigné me placerêtre privée de lumière et de consolationsme coûte énormément. »

Le 16 mars 1936, après avoir décrit l’abandon dans lequel elle se trouve, Alexandrina ajoute :

« Hier matin, j’étais profondément attristée. Il me semblait être entourée et surchargée de je ne sais quoi. J’ai cru entendre ces paroles: “Quel énorme poids de péchés tombe sur toi, et surtout celui de la colère, de la grande colère, de toute la colère de Dieu! O combien tu dois payer!...”

Je me suis de nouveau offerte à Notre-Seigneur, lui disant: “Mon Jésus, je me donne toute à vous, pour payer, autant qu’il me sera possible, jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à ce moment où rendant mon dernier soupir, je remettrai mon âme entre vos mains, pour vous bénir, vous louer et vous aimer pour toute l’éternité. O mon Jésus, soyez avec moi, ne m’abandonnez pas ! Je ne suis rien, rien, mais j’ai confiance en vous”.

Après cela je suis restée bien longtemps affligée, et j’ai été assaillie de multiples doutes. C’est alors que j’ai cru entendre ces paroles: “à qui veux-tu obéir?...” »

Ce fut en cette période qu’un fait important vint jeter Alexandrina dans de plus grandes ténèbres et désolation. C’est ce qu’elle appelle, dans ses notes autobiographiques la “mort apparente”.

En effet, en 1935, Notre-Seigneur l’avait prévenue qu’elle mourrait avant la fête de la très Sainte Trinité de 1936.

« Vu que je ne connaissais pas d’autre mort — écrit-elle — je pensais laisser ce monde et partir vers l’éternité...

Deux jours avant, le Seigneur m’a confirmé que je mourrais entre les 3 et 3 heures 30 du matin et me dis de faire appeler mon directeur spirituel. Cela fut fait.

Il arriva vers le soir et resta auprès de mon lit toute la nuit. Il me prépara à mourir; fit avec moi un acte de complète résignation et de conformité à la volonté de Dieu...

Ensuite, j’ai été prise d’une affliction croissante. A l’heure fixée, je ne sais pas ce que j’ai ressenti; j’ai cessé d’entendre tout ce qui se passait autour de moi... J’attendais toujours de comparaître devant Dieu. Cela ne me faisait rien de quitter ce monde et ma chère famille.

A un certain moment, voyant que je m’en remettais et que les paroles de Jésus ne se réalisaient pas, une grande et inimaginable tristesse m’envahit; je me sentais comme oppressée par un poids écrasant...

Mon directeur spirituel a dû partir, sans m’adresser la moindre parole de réconfort. J’ai passé la fête de la très Sainte Trinité comme une moribonde; à l’intérieur de moi, tout était mort. Mes larmes coulaient abondamment. Des doutes insupportables m’assaillirent: je m’étais trompée, au sujet de la mort, ainsi que sur tout ce que Jésus m’avait dit jusqu’alors...

Pendant les deux jours qui suivirent, il me semblait que tout était mort. Il n’y avait plus de soleil, plus de lune, plus de jour pour moi. Vivre m’était presque insupportable... »

Ce fut le Père Oliveira Dias[1] qui, en cette rude et angoissante épreuve vint la soulager.

En effet, « sans que nul n’en soit prévenu, il est venu, envoyé par mon directeur spirituel, pour réconforter mon âme. Le bon Père m’expliqua mon cas, me racontant des cas semblables au mien qui sont arrivés dans la vie de certains saints. C’est ainsi que j’ai appris qu’il s’agissait de la mort mystique et, de laquelle je n’avais jamais entendu parlé...

J’ai eu comme l’impression que ce fut comme un ange envoyé du ciel pour calmer la tempête de mon âme. J’ai toutefois continué de vivre dans l’épreuve. Il me semblait que Jésus, lui aussi, était mort, car pendant quelques mois, je n’ai plus entendu sa voix. Quand l’agonie de mon âme augmentait, je me remémorais les faits que le Père Oliveira Dias m’avait racontés et je reprenais un peu de courage, aidée en cela par mon Père spirituel. »

En réalité, à partir de la fête de la très Sainte Trinité de 1936, quelques mois durant, pour Alexandrina, tout est ténèbres et abandon; aucune communication divine, aucun soulagement.

Entre-temps, l’Espagne brûlait dans les flammes communistes.

Vers la fin d’août, Notre-Seigneur revint la consoler:

“Ne crains pas, ma fille! Je sais ce que je fais en te laissant plongée dans les ténèbres. Par tes souffrances et cet abandon, tu m’as sauvé de nombreuses âmes pécheresses... Prie pour ma chère Espagne. Vois-tu le châtiment dont je t’ai si souvent parlé? Il est grand, le danger, que ce fléau se répandent dans le monde entier,[2] si l’on ne prêche pas la vérité et si les pécheurs ne se convertissent pas.

Ou conversion ou châtiment!” »

Et Notre-Seigneur d’insister encore sur une demande déjà maintes fois réitérée: Que l’on prie le Souverain Pontife de consacrer le monde au Cœur Immaculé de Marie. Mais, de cette affaire, nous en reparlerons plus loin.

En cette même période, les souffrances augmentèrent à l’extrême: il fallut même lui administrer les derniers sacrements.

La terrible année 1937 arriva. Alexandrina était si souffrante qu’elle ne pouvait même plus dicter les lettres pour son Directeur. Ce fut alors sa sœur Deolinda qui, de février à juin se chargea de lui en donner, de temps en temps, de ses nouvelles.

Alexandrina passa dix-sept jours sans prendre aucun aliment, et au début, pas même un peu d’eau.

Ce fut à cette période que le Saint-Siège la fit examiner, pour la première fois, comme nous le verrons plus tard, dans ce récit.


[1] Jésuite; expert en théologie, envoyé par le Père Mariano Pinho au chevet d’Alexandrina. De lui, l’archevêque de Braga disait, dans une lettre envoyée à Rome: “...de grande science et d’une extrême prudence, lequel connaît très bien la jeune fille (Alexandrina)”.

[2] Prophétie sur la guerre qui allait bientôt ensanglanter toute l’Europe: 1939-1945.