Alexandrina, comme tout autre enfant,
a rêvé de fêtes de Noël et des « cadeaux »
que
le petit Jésus, ayant pour messager le « Père Noël », dépose chaque soir du 24
décembre dans les souliers des enfants « sages » du monde entier.
Comme tous les enfants, elle a dû
avoir des petits présents, très simples et pauvres, car sa mère ― grande
travailleuse champêtre ― étant pauvre, les présents qu’elle offrait à ses
filles, ne pouvaient être que simples et pauvres.
Puis, le temps passant, l’enfant est
devenue adolescente et travailleuse infatigable comme sa mère ; alors les
« présents » du « Père Noël » ont eux aussi évolué : c’étaient des souliers
neufs ou une simple jupette ; un chemisier ou un châle, des choses toujours très
simples mais forcément utiles, car à ce temps-là, chez les gens de la campagne,
les futilités n’avaient pas leur place.
Arriva ensuite cette première chute
du haut d’un chêne qui fut, à n’en pas douter, le commencement de son calvaire :
elle resta alité pendant quelques semaines. Mais il fallait gagner son « pain
quotidien » et la revoilà de nouveau dans les champs ou servant de bergère à des
gens peu scrupuleux et même peu fréquentables. Et ce fut, à cause de gens de
cette sorte, que le samedi saint 1918 ― elle avait alors 14 ans ―, pour échapper
à leurs ardeurs incontrôlées, elle préféra se jeter par la fenêtre de la
chambre, plutôt que de céder à leurs avances désordonnées.
Ce saut, déjà raconté par ailleurs,
mit un comble aux souffrances de la jeune fille : sa colonne fut écrasée et
ensuite, elle dut garder le lit jusqu’à sa mort.
Elle aurait ― et on la comprends
aisément ― voulu guérir et fit même la promesse, quelques années plus tard,
d’aller à pied à Fatima, si elle obtenait cette guérison. Mais le Seigneur ayant
d’autres vues sur elle : sa guérison resta en suspens…
Alexandrina comprit bien vite que son
état de santé n’irait pas en s’améliorant et, après voir entendu, vers 1931-1932
des paroles qu’elle pensa d’abord sorties de son imagination ― souffrir,
aimer, réparer ― elle décida de se donner, de se consacrer tout entière à
Jésus, mais Jésus au très Saint-Sacrement, par Marie, sa Petite Maman qu’elle
aima toujours si tendrement.
Écoutons-la :
« Un jour, alors que j’étais seule
et que je pensais à Jésus au tabernacle, je lui ai dit : “Mon bon Jésus, Tu es
emprisonné. Moi aussi je le suis. Nous sommes tout les deux incarcérés. Toi pour
mon bien et moi, je suis enchaînée à Toi. Toi tu es Roi et Seigneur de tout. Moi
je ne suis qu’un ver de terre. Je t’ai délaissé ne pensant qu’aux choses du
monde que ne sont que perdition pour les âmes, mais maintenant, repentie de tout
mon cœur, je ne veux que ce que Toi Tu veux : je veux souffrir avec résignation.
Ne me laisse pas sans Ta protection” ».
Puis, elle continue un peu plus
loin :
« Par amour de Jésus et de la
Petite Maman céleste (Mãezinha, comme elle l’appelait tendrement), je me suis
habituée à faire de petits sacrifices… »
Son amour pour Jésus hostie
grandissait chaque jour davantage et son désir de Lui tenir compagnie auprès des
tabernacles ne connaissait pas de répit. Cette flamme qui la brûlait à
l’intérieur trouva son apogée dans l’hymne aux tabernacles qu’elle composa un
jour et qui est, sans aucun doute, l’un des plus beaux que l’on puisse lire.
La présence de Jésus, une présence
réelle et non symbolique, dans les tabernacles du monde, la fascinait et, à
cette idée de la grande bonté de Jésus qui voulut rester à jamais avec ses
enfants de la terre, elle tressaillait de joie et son cœur s’emballait dans des
considérations mystiques extraordinaires, dans des prières jamais égalées, dans
des désirs d’union que seul un cœur pur et simple peut ainsi exprimer.
« Jésus, je t’aime de tout mon
cœur. Ai pitié de cette pauvre malade. Prends-la avec Toi quand tu voudras. Mon
bien-aimé Jésus, ne m’abandonne pas, car je suis une grande pécheresse.
Mon bien-aimé Jésus, j’aimerais Te
visiter dans tes tabernacles, mais je ne le peux pas ; ma maladie me cloue à mon
cher lit. Que ta volonté soit faite. Mais accorde-moi au moins que pas un seul
instant ne se passe sans que, par la pensée, je vienne auprès de Tes
tabernacles, pour Te dire : “Mon Jésus, je veux t’aimer, je veux être brûlée
dans le feu de ton Amour, prier pour les pécheurs et pour les âmes du
Purgatoire” ».
Puis, le temps passe et la flamme qui
brille dans le cœur pur d’Alexandrina ne s’éteint point, bien au contraire :
elle brille de plus en plus fort ; elle scintille de plus en plus, jusqu’à lui
faire peur et, il faudra même que Jésus vienne à son secours, car le démon lui
ayant raconté bien des mensonges, Alexandrina éprouve, non pas des doutes, mais
un sentiment de répugnance, se demandant si tout cela ne serait, en partie, que
fruit de son imagination.
« Quand je t’ai créée ― lui dit
Jésus, à cette période-là ― je t’ai faite avec la perfection nécessaire pour que
tu accomplisses la mission la plus sublime. J’en ai fait de même pour toutes les
âmes qui devaient te guider, les âmes qui te comprennent, les âmes qui ne vivent
que ma vie, une vie intime avec Moi. Celui qui prend soin de toi, prend aussi
soin de Moi. J’aimerais tant que mes disciples [les prêtres] étudient cette
science divine : ils ne l’étudient pas, ne la comprennent pas ; je leur donne
pourtant les lumières nécessaires (…)
En tout temps j’ai eu besoin de
victimes, mais actuellement plus que jamais. Je t’ai choisie pour être immolée
en cette époque où l’humanité s’est plongée dans une mer d’immondices, de vices
(…)
O bergère, reine du monde, c’est
Moi, Jésus, qui t’ai choisie et t’élève si haut… »
Le dialogue ne se termine pas là ;
Alexandrina le cœur brûlant d’amour, répond humblement :
« O mon Jésus, que puis-je Te
donner de plus ? Plus Tu m’en dis, plus encore augmente en moi la connaissance
de ma petitesse. Je m’humilie, je m’humilie, ô Jésus ! J’ai honte de ma misère
et que Toi Tu puisses m’utiliser à des fins si élevées. C’est Toi qui
travailles, c’est Toi qui Te fais connaître, parle de tes grandeurs : tout
t’appartient. »
Et toujours, cette humilité sincère,
cette obéissance aveugle aux desseins du Seigneur sur elle. Jamais Alexandrina
ne refusera quelque sacrifice, même difficile, que Jésus lui demandera de faire,
pour le bien des âmes.
« Violette aimée ― lui
répondit le Seigneur ―, pur asile où j’habite ! J’habite en toi sur cette
terre comme tu habiteras au ciel avec mon Père éternel : tu es mon Alexandrina
transformée en Christ, rien qu’en Christ… »
Nous arrivons maintenant au soir du
24 décembre 1944.
« J’ai de nouveau offert mon cœur
à Jésus et je Lui ai demandé de venir y naître !... »
NOËL 1944
Les jours de fête ― ici celle de Noël
― ne sont pas toujours des plus simples et
des
plus agréables pour Alexandrina, car ce sont en général les jours où elle
souffre davantage, les jours pendant lesquels ― en général ― l’humanité tout
entière « agresse » le Seigneur son Dieu, comme jadis les israélites dans le
désert. Mais, écoutons-la nous raconter ce Noël 1944 :
« Les jours de fête sont tous pour
moi d’une profonde tristesse. Je m’efforce, pour consoler ceux qui m’entourent,
de me montrer contente : ma joie est feinte. Je regarde Jésus et la Mãezinha, je
tourne ma pensée vers le ciel et par amour j’accepte la douleur. C’est par
l’amour que la tristesse devient joie pour moi. Je ne regarde pas le monde,
je fixe mon regard sur le ciel : en regardant ainsi le ciel, les épines
deviennent des roses et la douleur devient douceur.
À minuit, ce soir de Noël, autre
était la nuit que j’avais dans mon âme. Des douleurs lancinantes traversaient
tout mon corps. Je n’ai pas pleuré, mais j’ai gémi. Cependant, Jésus seul sait
combien j’ai souffert.
J’ai entendu les pétards et le
tintement des cloches.
J’ai demandé que l’on m’apporte la
statuette de l’Enfant-Jésus. Je l’ai placée sur ma poitrine, je voulais la
réchauffer. La chaleur que je lui ai procurée ne fut pas du tout celui que je
voulais : j’aurais voulu l’enflammer par un feu d’amour. Je désirais lui dire
beaucoup de choses, mais je ne savais pas. Je l’ai serré, doucement, contre ma
poitrine, et j’ai continué de gémir. Je suis certaine que Jésus les a acceptés,
et ne s’est pas attristé. Personne comme Lui ne voyait combien je souffrais ;
personne comme Lui ne sait que quand je gémis, c’est par amour ; que je gémis,
mais seulement quand je n’en peux plus.
Je ne sais pas combien de temps
s’est ainsi écoulé. Je sais que je suis passée à une autre vie et que j’ai
entendu Jésus dire dans mon cœur :
“Je suis né dans la crèche de ton
cœur, ma fille. C’est l’Époux qui vient vers son épouse... Reine d’amour, comme
je suis bien ici. La crèche que tu m’offres n’est pas grossière comme celle de
Bethléem : elle est douce de tes vertus. Dans ta crèche, je ne sens pas la
rigueur du froid ; j’y suis réchauffé par l’amour le plus pur et le plus
brûlant.
Tu es mon étoile, étoile qui guide
le monde, comme l’étoile qui alors a guidé les Mages dans leur route vers
Bethléem.
Dis à tous, ma fille, à ceux qui
ont soin de toi, à ceux qui te sont chers, qui t’aiment et qui sont autour de
toi, que je leur donne l’abondance de mes grâces, une ondée de mon amour divin,
une place toute particulière dans mon divin Cœur, ainsi que la promesse du
Ciel...” »
« C’est par l’amour que la
tristesse devient joie pour moi » avoue naïvement Alexandrina.
De nos jours, on ne peut pas penser
que la souffrance puisse être ainsi acceptée, même s’il s’agit du salut des
âmes. Rares sont ceux, en effet, qui font de leur souffrance un levier de salut
pour leurs frères.
Il est vrai que l’on ne doit pas
souhaiter la souffrance, mais il est aussi vrai que l’accepter et l’offrir au
Seigneur pour le salut du prochain, est un acte d’amour qui n’est surpassé que
par l’amour que l’ont doit à Dieu même.
« Aimez-vous les uns les autres »
et encore, « la plus grande preuve d’amour est de donner sa vie pour ceux que
l’on aime », sont des consignes évangéliques incontournables et, Alexandrina
essaya, autant que cela lui fut possible, de les mettre en pratique, dans son
quotidien d’âme-victime : jamais elle ne refusa de souffrir pour le frère qui
avait besoin de cette souffrance pour retrouver le chemin vers Dieu ; le
Cardinal Manuel Cerejeira, Patriarche de Lisbonne en fut un témoin : son frère
qui s’était éloigné de Dieu, est revenu à la foi grâce aux souffrances et aux
prières de la Bienheureuse. Un prêtre qui avait quitté le sacerdoce et menait
une vie de débauche en fut un autre heureux bénéficiaire. Il se repentit, se
confessa et mourut saintement à Fatima.
Comment accepter tant de souffrance,
comment vivre crucifiée quotidiennement, sans se plaindre, sans aucun refus, et
même joyeusement ?
« C’est —, ne l’oublions pas —
par l’amour que la tristesse devient joie ! »
« Je ne regarde pas le monde —
explique Alexandrina —, je fixe mon regard sur le ciel : en regardant ainsi
le ciel, les épines deviennent des roses et la douleur devient douceur. »
Cette souffrance est sans répit : le
Seigneur en a besoin pour nous sauver, pour nous remettre dans le droit chemin,
c’est pourquoi Il nous recommande de garder toujours nos lampes allumées et,
tout particulièrement les jours de noces, c’est-à-dire les jours qui commémorent
les étapes de sa vie terrestre et, c’est Noël…
« À minuit, ce soir de Noël —
nous rappelle Alexandrina —, autre était la nuit que j’avais dans mon âme.
Des douleurs lancinantes traversaient tout mon corps. Je n’ai pas pleuré, mais
j’ai gémi. Cependant, Jésus seul sait combien j’ai souffert. »
Noël, la naissance de Jésus !... Jour
de joie s’il en est, mais la jeune femme souffre ; elle souffre et offre ; elle
offre et soulage les blessures qui font tant de mal au Cœur si doux et si aimant
de Jésus : c’est tout ce qu’elle désire, c’est tout ce qu’elle souhaite, même si
cela lui fait mal, même si cela opprime sont cœur pur, ce qui l’emmène quelques
fois à se plaindre à Jésus, non pas pour que cela s’arrête, mais bien pour se
donner du courage, pour se ressourcer à la Fontaine de Vie…
« O mon Dieu — s’écrie-t-elle
alors —, je cours vers la mort et la mort court vers moi ! Ma tête est
torturée ; mon corps est défait en morceaux par des terribles martyres : il est
une plaie ouverte... »
Puis, la certitude que son sacrifice
est un devoir fraternel, elle se dit alors que malgré le fait que sa « vie
s’en va. Elle s’en va pour donner la vie ; elle chemine tranquillement pour
sauver le monde. »
Et cette réflexion, un soir de Noël,
lui procure de nouvelles forces, lui redonne un mâle courage qui la fait
s’exclamer :
« Jésus, donnez-moi la douleur que
j’aime, donnez-moi la purification après laquelle j’attends ardemment.
Accueillez-moi en vous et en la Petite-Maman.
Écoutez le cri continuel de mon
âme ; cri d’angoisse par la douleur qu’elle ressent et pour l’anxiété qu’elle a
de vous confier le monde. Je souhaiterais le voir dans mes mains pour pouvoir
vous l’offrir, comme le prêtre voit dans ses mains l’Hostie consacrée et l’offre
au Père éternel.
Jésus, protégez-moi ! Gardez mes
angoisses pressantes et immolez-moi comme il vous plaira, afin que je vous donne
de l’amour, et avec l’amour, l’humanité. J’aimerais vous dire tant d’autres
choses, mais, comme je ne sais pas le dire, je ne dis rien. »
Tant de courage, tant de don de soi,
méritait, de la part de Jésus un « cadeau »
de
Noël, cadeau déposé dans le creux de l’âme d’Alexandrina et, le Seigneur qui ne
manque jamais à ceux qui l’aiment, vint le lui apporter :
« “Ma fille, ange de la terre,
aimable fleur, candide fleur du paradis ! Viens, ma fille, viens recevoir une
autre preuve de mes épousailles avec toi, de mon union conjugale.”
Ce disant, Jésus prit ma main, —
explique Alexandrina — m’embrassa, me caressa et me serra doucement contre Lui.
Je suis resté comme plongée dans une
mer de délices, dans une mer d’amour. Jésus continua :
“Reçois une effusion de mon divin
Amour. Reçois-la parce que c’est ta vie, et toi, tu es vie pour les âmes.
Courage, encore un peu : ton ciel
est proche. Bientôt ton âme, détachée de la terre, s’envolera vers le ciel comme
la blanche et pure colombe vers son nid. Ton nid c’est le ciel près du trône de
la Majesté divine, à côté de ma Mère bénie... Près de ma Mère, ma fille, tu
continueras à veiller, gouverner ta possession royale de la terre...
Combien l’humanité t’est
débitrice ! Combien te doit le Portugal ! Le monde devrait être détruit...
Demande, demande encore prière et pénitence...”
Jésus ajouta enfin :
“Ce sera en une extase d’amour,
dégagée de la douleur, qui tu t’envoleras vers le ciel...” »
Et ce fut ainsi — quel beau
“cadeau” de Noël pour cette âme qui aimait tant Jésus au Saint-Sacrement et la Mãezinha ! — qu’elle partit vers la Maison du Père, le jeudi 13 octobre 1955,
jour eucharistique et en même temps jour anniversaire de la dernière apparition
de la Vierge Marie à Fatima.
|