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“Tout ce qu’il vous dira, faites-le”
Voici que
réapparaît la couleur verte de l’ornement du Prêtre à la
messe. Le temps de Noël au sens strict est passé, et cinq
dimanches nous séparent du début du Carême (17 février en
cette année 2010).
Avant de
commencer la lecture de l’évangile de Luc, l’Eglise nous
propose aujourd’hui l’épisode des Noces de Cana que,
curieusement, l’évangéliste Jean est le seul à rapporter. En
effet, on pourrait s’attendre à ce que Luc aussi en parle,
lui qui a connu de si près la Mère de Jésus. Luc aura
peut-être pressenti que Jean serait beaucoup plus à même de
raconter cet épisode, puisqu’il s’y trouvait
personnellement, de même aussi que c’est Jean qui sera au
pied de la Croix et entendra les dernières paroles du Christ
à Sa Mère (Jn. 19:25-27).
Voici donc
Marie et Jésus, avec ses disciples, invités à une noce, à
Cana. Rien de plus vivant que cette participation aux
événements familiaux d’un petit village, où tout le monde se
connaît, où les cousinages sont très fréquents. On a dit
parfois que le fiancé pouvait être Nathanaël lui-même, dont
il est question au chapitre précédent, mais le contexte ne
le prouve pas explicitement.
Ce qui est plus
certain, c’est que seuls Jésus et Marie sont invités, pas
Joseph : sans doute était-il déjà mort à ce moment-là, sa
“mission” sur terre étant désormais achevée. Heureux ce père
qui eut près de lui un Tel fils et une Telle épouse pour
l’assister aux derniers instants. C’est à juste titre qu’il
est invoqué comme patron de la bonne mort.
Donc Marie est
là, et observe que le vin manque. Erreur du maître de maison
? Imprévoyance ? Consommation excessive des invités ? Ou
bien peut-être entente préalable voulue par Jésus, avec le
maître, pour avoir l’occasion d’annoncer le Vin Nouveau ?…
Cette question
suggère par elle-même la réponse à la difficulté habituelle
qu’on a à expliquer la fameuse question de Jésus à sa Mère,
littéralement : “Qu’y a-t-il entre toi et moi?”. Depuis
longtemps — Jésus a désormais trente ans — le Fils de Dieu
avait certainement parlé à Marie du sacerdoce, du Sacrifice
eucharistique, et Marie s’attendait à voir un jour ou
l’autre l’établissement de ces deux Sacrements essentiels de
la nouvelle Alliance : Sacerdoce et Eucharistie. C’est
pourquoi, quand elle dit “ils n’ont plus de vin”, cette
phrase doit être entendue comme : “Le Vin nouveau dont tu
m’as parlé tant de fois, le donnerais-tu maintenant ?” ; et
Jésus, loin de “remettre en place” sa sainte Mère, lui
répond solennellement : “Puisque l’heure en est fixée par
mon Père, ce n’est ni toi ni moi qui pouvons l’anticiper”.
Donc, sur l’intercession de Marie, Jésus va opérer son
premier miracle, oui ; Il va changer l’eau en vin, il va
montrer que l’ancienne Alliance doit faire place à la
nouvelle, son ministère public commence officiellement ;
mais le Grand sacrement, l’Eucharistie, viendra seulement à
la fin de ce ministère, comme couronnement sublime de cette
divine mission. Tout cela s’est dit et compris en quelques
secondes, entre une Mère et un Fils si profondément unis
pour l’œuvre divine.
Il y a plus. Au
moment où la nouvelle Ève, Marie, Mère des vivants,
intercède comme médiatrice auprès de Jésus, celui-ci
l’interpelle du nom de “Femme” qui, loin d’être une
dénomination dédaigneuse, est ici une expression suprême de
la noble mission de Marie dans l’économie du salut : comme
la première femme a péché et entraîné tous les hommes dans
l’ombre de la mort, ainsi la nouvelle Ève, la Femme pure, la
Mère du Sauveur, allait maintenant être la Mère de tous les
hommes sauvés, reconduits à la Lumière de la Vie par le
Sacrifice de Jésus-Christ. Cette “Femme” se trouvera
effectivement aux pieds du Crucifié, qui lui redira juste
avant d’expirer : “Femme, voici ton fils”, comme on l’a dit
plus haut. Marie en a bien conscience qui, loin de
s’attrister de la réponse de Jésus, s’empresse immédiatement
de conseiller aux serviteurs : “Tout ce qu’il vous dira,
faites-le”.
Cette union
dans l’œuvre salvifique entre Jésus et Marie est
véritablement le signe d’une union féconde mystique, d’un
véritable mariage mystique. Présents à un mariage humain,
Jésus et Marie se montrent ici encore plus unis dans de
chastes noces mystiques, dont les fruits seront l’Eglise
universelle. Voilà pourquoi nous lisons l’extrait du
prophète Isaïe où il est question de l’épouse “préférée” où
le Seigneur met “sa préférence”.
Voyez comment
déjà la bonté exorbitante de Jésus se manifeste : six jarres
de bon vin, lorsque désormais la fête touche à sa fin. Six
cents litres d’un nectar précieux ! Comme l’ont remarqué les
Pères de l’Eglise, les six urnes font une allusion évidente
à l’Eucharistie, d’où la grâce et la bénédiction découlent
sur les six autres sacrements.
En réalité,
l’intervention de Marie résonne un peu comme si la fiancée
de Jésus, l’Eglise, L’implorait en disant : “Tes enfants
n’ont plus de vin” et que Jésus lui répondait : “Eglise de
mon Père, ne t’inquiète pas” et qu’ensuite l’Eglise disait
aux prêtres : “Observez tous ses ordres et commandements,
car il vous viendra en aide au moment voulu”.
C’est aussi un
peu ce que recommande saint Paul aux Corinthiens, en sa
première épître qu’il leur écrit, peu après les avoir
instruits une première fois, et pour les exhorter à l’union
fraternelle. Comme Jésus devait — à son heure — opérer des
signes, des miracles, instituer l’Eucharistie et le
Sacerdoce, comme Marie s’unissait intimement à cette divine
mission par sa présence maternelle d’intercession (“Marie,
Médiatrice de toute grâce”, l’appelle-t-on), comme les
Apôtres devront fidèlement répéter l’enseignement de Jésus,
de même à notre tour, à notre époque, dans notre société,
chacun à sa place doit rester uni à l’unique enseignement
divin de Jésus-Christ fait homme, dans l’unité parfaite de
l’Esprit Saint qui distribue les dons de Dieu à chacun selon
sa mesure et son état.
A ces
réflexions sur les Noces de Cana pourra ici s’ajouter une
observation sur un rite assez peu remarqué de la Messe,
quand le prêtre verse une goutte d’eau dans le vin du
calice, avant de l’offrir, en disant “Comme cette eau se
mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous
être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité”.
L’eau de l’humanité se noie dans la divinité du vin pour
former l’Homme nouveau, l’Homme racheté dans le vie divine
du Sauveur, mort et ressuscité.
Abbé Charles
Marie de Roussy
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