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La Vérité
apporte la Paix
Le début
de l'évangile d'aujourd'hui rapporte que "Jésus disait à ses
disciples" les propos que nous venons de lire. Ils font en
effet partie de la longue conversation que Jésus eut avec
les apôtres après la dernière Cène.
En réalité,
Jésus répond successivement à diverses questions que lui
posent certains Apôtres, profitant de ces questions pour
élargir son discours et donner à tous son ultime
enseignement. Le passage d'aujourd'hui fait suite à une
question de l'apôtre Jude (appelé aussi Thaddée), un des
apôtres les moins connus.
Jude vient de poser à Jésus une question difficile à rendre
en français, littéralement : Seigneur, que s'est-il passé,
que tu doives te manifester toi-même à nous, et pas au
monde". Cette question est bien mystérieuse, dans la bouche
de l'apôtre Jude. On y voit plus qu'une curiosité, une
préoccupation apostolique : Si tu es venu pour porter le
péché du monde, pour sauver tous les hommes, pourquoi nous
as-tu pour ainsi dire mis à part ? Qu'allons-nous faire
maintenant dans ce monde qui ne te connaît pas ? Et en plus,
tu nous quittes...
Il faut
essayer d'imaginer un peu ici l'état d'esprit des apôtres :
Judas, le traître, vient de quitter le Cénacle ; Jésus vient
de leur annoncer qu'il ne serait plus pour longtemps avec
eux (Jn 13:33) et en plus Il annonce à Pierre qu'il va Le
renier, et cette nuit même. C'est beaucoup, tout cela. Jésus
essaie, avec difficulté semble-t-il, de les rassurer :
"Que votre coeur cesse de se troubler" (14:1) ;
effectivement un moment après il interrompt son discours en
leur répétant : "Que votre coeur cesse de se troubler et
de craindre" (14:27), puis il répond calmement à chacun,
à Thomas, à Philippe, puis à Jude, avec des propos d'une
céleste douceur.
D'abord,
c'est la promesse de la présence du Père, avec le Fils et le
Saint Esprit, dans le coeur de tous ceux qui L'aiment.
L'Amour vient de Dieu : "Dieu est Amour", écrira plus tard
saint Jean (1Jn 4:16). Tous ceux qui s'efforcent de vivre
vraiment l'Amour — la générosité, le pardon, la patience...
— reçoivent en retour une plénitude de grâces divines en
eux. Dieu vient à eux avec le Fils, et ensemble, ils
envoient l'Esprit, qui suggère toute parole de Vérité. Jésus
vient de le dire : "Nous (le Père et moi) viendrons
chez lui... l'Esprit Saint que le Père enverra en mon Nom,
vous enseignera tout".
Par là,
Jésus rappelle l'unité entre les trois Personnes divines,
qui s'étaient manifestées au jour du Baptême ; une unité
tout en Amour. Un Amour qui n'est pas charnel, un plein
Amour tout déshumanisé, un Amour totalement divin et
immatériel, un Amour qui est pleine jouissance de la Paix
céleste et divine.
Amour et
Paix vont ensemble. Quand Jésus "donne sa paix", Il donne
son Amour. A la messe, c'est au moment de recevoir l'Amour
incarné dans l'Eucharistie, que le prêtre invoque sur tous
les présents la Paix, et qu'il les invite à la partager.
"La
paix n'est pas seulement l'absence de guerre... La paix
terrestre qui naît de l'amour du prochain est elle-même
l'image et l'effet de la paix du Christ qui vient de Dieu le
Père" (Concile Vatican II : Constitution Gaudium et
Spes, 78) ; la paix est une expression tangible de
l'amour fraternel entre les hommes, bien rarement obtenue,
car trop souvent, trop rapidement, l'orgueil de l'homme le
pousse à se poser en rival de son voisin, et ainsi
reprennent les hostilités.
Effectivement Jésus dit : "Ce n'est pas à la manière du
monde que je vous la donne", parce que le monde, qui
veut souvent ignorer les voies de Dieu, ne cherche pas
vraiment la paix.
La paix
parfaite, définitive, nous ne l'aurons que dans la Jérusalem
céleste, que décrit l'apôtre Jean dans l'Apocalypse. Il est
difficile de comprendre ce qu'il veut dire vraiment en
parlant de "haute montagne", de cité qui "descendait", ni
pourquoi cette cité éclatante doive être entourée de
murailles gardées par des anges. Bien sûr, Jean traduit sa
vision en des termes venant de sa connaissance humaine ;
pour lui, une ville est toujours entourée de murailles, et
bien gardée. La Jérusalem céleste n'est pas différente, sauf
qu'elle est en même temps tout autre. C'est un monde
nouveau.
Parlons
maintenant un peu de l'épisode des Actes des Apôtres. Il est
question d'un rite de la Loi juive, la circoncision, à
propos duquel la communauté chrétienne n'est pas unanime,
puis d'une décision des Apôtres restés à Jérusalem, où il
n'est plus même question de ce rite.
L'origine
du rite de la circoncision remonte à Abraham, qui en reçut
l'ordre de Dieu (Gn 17:9-14). Plus tard, Moïse codifia ce
rite : au huitième jour après sa naissance, tout mâle doit
être circoncis ; depuis, la science a démontré que c'est en
effet à ce moment-là que la plaie se referme au plus vite
sans risque d'infection.
On ne
s'étendra pas ici sur l'utilité sanitaire, supposée ou
réelle, de ce geste, qui est une question purement médicale.
Mais que Dieu l'ait demandé aux hommes mérite un petit
commentaire. A cette époque, il n'est pas encore question de
racheter les péchés par le sang d'un agneau : ce n'est que
Moïse qui inaugurera ce sacrifice, en annonce de la mort du
vrai Agneau pascal, Jésus, immolé en portant tous les péchés
des hommes. En attendant, Dieu demande déjà "un signe" de
l'appartenance à Son peuple, et ce signe se fera par le
sang.
Mais
pourquoi la circoncision, donc, qui concerne seulement les
mâles ? Qu'on se rappelle le récit de la Genèse au moment du
péché d'Adam et d'Ève (Gn 3). La génération humaine reste un
acte sublime inscrit dans la vocation du mariage voulu par
Dieu, mais cette génération reste entachée par le premier
péché : engendrer la vie, qui pouvait ou devait se produire
avec la plus grande solennité — comme on voit que se
transmet le Sacerdoce, la Vie spirituelle, par la
majestueuse imposition des mains - est devenu un acte qui
demande discrétion, solitude, pudeur. Et c'est cette "tache"
de la génération de la vie qu'il s'agit ici de racheter par
le sang de la circoncision.
Mystérieusement, non seulement Juifs et Musulmans, mais
aussi de très nombreuses peuplades et tribus maintiennent un
rite de "purification" après la naissance des mâles. L'homme
ressent le besoin de "purifier" la naissance d'un enfant.
Quand Jésus sera venu et se sera immolé pour tous les
hommes, cette purification se fera par le sacrement du
Baptême, où le Prêtre transmettra à l'enfant la vraie Vie,
par les gestes symboliques de l'imposition de la main (ou de
l'onction avec l'huile sainte), de l'eau, de l'habit blanc,
du chrême, accompagné de la parole du Ministre, au nom du
Père, du Fils et de l'Esprit. Cette nouvelle vie est marquée
encore davantage là où l'on peut procéder au baptême par
l'immersion totale du catéchumène : pendant un instant, on
"meurt" comme Jésus au tombeau, et l'instant d'après on
"ressuscite", lavé par le Sang de l'Agneau symbolisé par
cette Eau baptismale.
On se
rappellera aussi ici qu'un instant après la mort de Jésus
sur la Croix, un soldat lui ouvrit le côté, dont il sortit
de l'eau et du sang (Jn 19:34), ce qui fut unanimement
interprété comme le symbole de l'Eau baptismale et du Sang
eucharistique.
Dans leur
réponse, les Apôtres qui résidaient à Jérusalem (surtout
Pierre et Jacques) ne mentionnent pas même le rite en
question, pour bien montrer que là n'est pas le problème de
la Nouvelle Naissance en Jésus. Maintenant, ce qui compte
est fondamentalement d'abandonner toute pratique
idolâtrique, et toute inconduite, comme le répétera Pierre
plus tard : "Que, sur le point même où l'on vous
calomnie, soient confondus ceux qui décrient votre bonne
conduite dans le Christ" (1Pt 3:16).
D'autres
éléments seraient encore à relever dans ce beau texte : la
référence à l'Autorité de la part de tous, Paul y compris ;
l'unanimité de la réponse, donnée d'ailleurs sous
l'inspiration de l'Esprit ! "L'Esprit-Saint et
nous-mêmes", disent-ils.
En cette
circonstance s'est vérifié ce qu'a répondu Jésus à Jude :
“Si quelqu'un m'aime... mon Père l'aimera ; l'Esprit Saint
que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout”.
La
réponse des Apôtres produit un effet immédiat et heureux :
"On se réjouit de l'encouragement qu'elle apportait"
(Ac 15:31). Encore une fois, la Vérité apporte la Paix.
Ce
mystère de Pâques est véritablement destiné à nous
transformer (cf. Prière du Jour), dans la Vérité et la
Paix. Juifs et Païens sont appelés à une même Vie.
Désormais, le "Peuple élu" n'est plus seulement ce petit
peuple de quelques tribus qui attendait le Messie, c'est
l'ensemble de tous les peuples, de toutes les nations, de
tous les temps. On a bien choisi le psaume 66 pour exprimer
cette universalité dans la joie :
"Que
les nations chantent leur joie... que la terre tout entière
L'adore".
Abbé Charles
Marie de Roussy
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