CHAPITRE XV
Vers la fin du mois de juillet 1944, Alexandrina demanda
au Père Umberto de
devenir son directeur spirituel. Celui-ci ne refusa pas
mais en rendit compte au Père Pinho. Il lui parla bien peu de temps et, avec
l’assentiment du Père Abel Guerra, celui-ci en assumant la responsabilité
devant le provincial des Jésuites, lequel avait interdit à ses prêtres de
traiter le cas de Balasar. Le Père Umberto reçut du Père Pinho les meilleurs
renseignements sur Alexandrina. Malgré ces renseignements, ce dernier envoya
auprès d’Alexandrina deux de ses salésiens et leur demanda leur avis sur la
malade.
Par la suite, le 8 septembre, il en prit la direction
spirituelle. Environ deux mois après, Jésus disait à Alexandrina :
— Dis à mon cher Père Umberto que Je l’ai fait venir
ici pour défendre Ma divine cause. Ce ne fut pas lui à choisir de sa venue.
Avec courage et beaucoup de fermeté, qu’il rejoigne tous ceux qui déjà
luttent pour moi.
Dans son journal, à la date du 27 juillet 1944, elle
écrivit :
« Je suis dans un état de grand effroi ; je n’arrive
pas à comprendre que présagent mes douleurs !... »
Le 28 du même mois, une commission de théologiens,
chargés par l’archevêque d’étudier le cas, se prononça défavorablement sur
Alexandrina. Leur décision fut lue dans presque tous les villages du
diocèse.
Le Père Umberto écrivit aussitôt au docteur Azevedo pour
demander si ces messieurs, “prudents, doctes et spécialisés en matières
philosophiques et théologiques”, comme le spécifiait le document
lui-même, connaissaient directement le cas. Le docteur lui répondit par la
négative, en ajoutant que “l’archevêque avait interdit d’assister aux
extases du vendredi”.Le curé transmit cet ordre à Alexandrina la menaçant de ne
plus lui apporter la communion en cas de désobéissance.
À propos de ce “coup très dur”, le docteur Azevedo
écrivit au Père Umberto, le 21 août 1944 :
« Si je n’étais pas sûr, vraiment très sûr, de
la persévérance d’Alexandrina, j’aurais passé des jours dans la plus grande
détresse de peur qu’elle ne perde courage. Cette dernière souffrance fut, en
effet, très aiguë ! Le curé lui annonça la nouvelle d’une façon telle que si
Alexandrina n’était pas celle que nous connaissons, elle serait tombée dans
le plus grand découragement, tout au moins pour quelques heures. Héroïque
comme elle est, elle sort toujours victorieuse avec l’aide du Seigneur. »
Alexandrina nota pour son journal :
« J’ai été jetée en pâture, sans avoir été consultée :
je n’étais au courant de rien. Et maintenant ils voulaient, aux dépens de ma
douleur, recueillir les peines que le vent furieux disperse ! Comment le
pourront-ils ? Ah mon Jésus, jamais plus, jamais plus ! Si seulement je
pouvais vivre cachée, en t’aimant comme je le désir tellement, t’appartenir
sans limites, mais, pardonne-moi, sans avoir une pareille vie
(mystique).
Combien deviennent saints sans ce genre de vie ! Et moi, je ne suis que
misère ! Combien de nostalgie de mes années lointaines ! Combien de
colloques j’ai pu avoir avec toi, sans que nul le sache. Je donnerais des
vies, je donnerais des mondes pour vivre cachée. »
Examinant maintenant le sérieux des directeurs spirituels
à son égard, voici ce qu’écrivait à Deolinda, le Père Pinho le 29 septembre
1934 :
« En ce qui concerne votre sœur je vous dirai que
moins elle aura de visites, mieux cela sera ; et moins nombreuses seront les
personnes à avoir connaissance de sa vie, tant mieux cela sera encore. »
Le second directeur, le Père Umberto, après une courte
visite à Balasar en 1953, ayant trouvé un grand nombre de visiteurs auprès
de la malade, lui écrivît d’Italie :
« Avec amitié, je suivrai le déroulement de votre
calvaire. Je vous conseille la “solitude”, l’éloignement de toutes
curiosités afin de pouvoir supporter tout ce que le Seigneur voudra encore
de vous. Que le cher docteur Azevedo y réfléchisse et que Deolinda se montre
en cela intransigeante. L’intransigeance sera un bien pour tout le monde. »
Le Père Pinho, dans son livre “Sur le Calvaire de
Balasar”, écrivit :
« Nous pouvons encore évoquer une autre difficulté :
l’opposition suscitée contre ce fait singulier. Comme l’écrit le chanoine
Molho de Faria dans son livre d’une éclairée orientation seulement du point
de vue juridique ! ] : “Quant au cas de Balasar, celui-ci éclata presque
comme une explosion surnaturelle peu commune mais vraiment extraordinaire,
complexe, et devait provoquer des réactions violentes. Et il les provoqua.
Celles-ci furent très fortes du vivant d’Alexandrina et le seront
probablement après sa mort”. Et c’est vrai. Je dois le reconnaître : ces
difficultés ne sont pas venues de ceux-ci ou de ceux-là qui, avec
compétence, sérénité et sans préjugés, sont allés aux sources, étudièrent le
cas de près, par des contacts personnels et fréquents avec la malade de
Balasar. Ce ne furent pas eux qui provoquèrent les oppositions : aujourd’hui
ils en sont même les meilleurs apologistes. »
Le chanoine Molho de Faria, Président de la Commission de
théologiens choisis
par l’archevêque afin d’étudier le cas de Balasar,
élabora un rapport final : douze pages de grand format, contre les faits
d’Alexandrina, avec des affirmations calomnieuses recueillies auprès d’un
médecin athée
et de trois femmes de Balasar, dirigées du chanoine lui-même.
A dire vrai, le chanoine, avec l’arrière pensée de
s'insinuer dans la vie intime d’Alexandrina, la visita un jour, lui apporta
même la communion, en employant toute une tactique contrastant sur tous les
points avec la finesse d’esprit de la servante de Dieu. Il lui demanda, par
exemple, pourquoi Felizmina, sa pénitente, s’était séparée d’elles après
tant d’années de bonne entente. Alexandrina répondit résolument :
« J’ai promis à Jésus de n’en pas parler afin de ne
pas accuser ni de me disculper. »
Le chanoine bondit et, sur un ton impérieux, menaça :
« — Souvenez-vous, Alexandrina, que votre cas
est entre mes mains. »
« — Mon cas, monsieur le chanoine, est entre
les mains de Dieu », répondit-elle avec douceur.
Dès que le chanoine Molho de Faria se retira, la sœur
entra dans la chambre et demanda ce qui s’était passé. Alexandrina, avec son
inséparable sourire lui dit, tout simplement :
« — Ce sont là des caresses de Jésus ! »
Et ce fut cela que l’intéressée témoigna au Père Umberto
en 1965.
« Nous portons à votre connaissance ce qui suit :
Ayant chargé une Commission, composée de personnes
prudentes, doctes et spécialisés dans les sciences philosophiques et
théologiques [sic], d’étudier ce qui est arrivé à Alexandrina Maria da
Costa, de Balasar, ladite commission est arrivée à la conclusion suivante,
après vote :
Suite aux longs comptes-rendus, cette Commission se
sent le devoir de dire qu’elle n’a rien trouvé qui puisse attester quoi que
ce soit de surnaturel, extraordinaire ou miraculeux dans le cas
d’Alexandrina Maria da Costa. Elle ose même ajouter qu’elle a décelé des
symptômes sûrs pour affirmer le contraire... Elle espère donc que le prélat
prenne toutes les mesures nécessaires pour la plus grande gloire de Dieu et
la tranquillité de tant d’âmes.
En tenant compte de cette opinion éclairée [sic] et de ce
souhait, nous déterminons ce qui suit :
a) que les faits extraordinaires attribués
à la susdite malade ou de qui elle se prétend le protagoniste, soient
blâmés, et que ceux-ci ne puissent être exposés ou commentés en public ;
qu’ils ne sortent pas du cercle privé ;
b) qu’il soit recommandé aux prêtres de ne
pas alimenter, mais au contraire de combattre, de manière charitable, la
curiosité, qui autour de la malade et, pour des raisons religieuses, puisse
encore se manifester, étant donné qu’une telle curiosité ne peut être saine
et bien fondée, et non plus louable ;
c) que la même recommandation soit faite de
manière discrète à tous nos diocésains toutes les fois que cela soit
possible ;
d) que le curé de Balasar soit informé que
nous le chargeons en outre de surveiller afin que la malade et sa demeure ne
fassent pas l’objet de visites inopportunes, faites à titre d’observation
des prétendus phénomènes extraordinaires auxquels puissent être attribués un
caractère religieux ou intention religieuse.»
Braga, 27 juillet 1944
† Antonio, archevêque
Le Père Umberto, à l'époque, avait demandé de présenter
« au moins un témoin qui puisse prouver que Alexandrina se fut affirmée
comme étant le protagoniste des faits extraordinaires comme il est dit dans
le document cité ». Il n’y eût pour cela âme qui vive. Il demanda encore
qu’il soit prouvé qu’il s’agissait d’imprudences de la part des directeurs
spirituels. Il avançait même l’hypothèse que ledit document n’ait pas été
élaboré par l’archevêque lui-même,parce que, celui-ci, au moment où le cas de Balasar eût une
résonance nationale à la suite de la parution du fascicule que Père Terças
avait publié le 31 décembre 1941, déclara :
« Attendu qu’il est autorisé par la curie de Lisbonne
et par son provinciale, je crois ne pas devoir intervenir, même s’il me le
demandait... Je le ferai plus tard, après coup, même si dans l’immédiat, la
publication des faits desquels il est l’auteur, puisse être la cause de
graves dangers pour les âmes qui m’ont été confiées. J’espère que cela
n’arrivera pas. Je souhaite, malgré tout, que son livre produise beaucoup de
fruits spirituels, comme il le désire, intentions auxquelles je rends le
juste hommage. »
Les paroles suivantes que Alexandrina adressa au Père
Umberto, datent de cette période tempétueuse :
« Je vous sais de mon côté, et cela me donne du
courage dans ma souffrance. Que Dieu soit béni ! Je ne suis pas encore haïe
de tous... »
Le docteur Azevedo lui aussi écrivit à ce dernier :
« Alexandrina et moi-même vous sommes très
reconnaissants de bien vouloir faire partie du petit nombre de nos amis. »
Quatre ans après cette sanglante épreuve, Alexandrina
écrivit de sa propre main à son deuxième directeur spirituel, peu de temps
avant que celui-ci ne retourne en Italie :
« Après avoir demandé lumière et force au Ciel, je
veux vous dire, mon bon Père, que celle-ci a pour objet, en premier lieu, de
vous féliciter (pour l’anniversaire) et saluer celui qui a tant fait
pour moi pendant les heures les plus tragiques de ma vie ; chose que je
n’oublierai jamais... »
Le Père David Novais se souvient, lui aussi de cette
amère période :
« Alexandrina a accepté les dispositions des
théologiens avec résignation et une fidélité illimitée. Jamais de ses lèvres
n’est sortie la moindre plainte ; même pas le nom de celui-ci ou de
celui-là. Je l’ai toujours trouvée résignée et prête à tout excuser. »
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